La chrétienté hors de l'Eden

Kakapo continue son exploration des différents regards chrétiens sur l'écologie : ils varient selon les époques, les Eglises et les pays. Les premiers baptistes russes furent des immigrés allemands du siècle dernier ; leur Eglise est devenue l'un des groupes chrétiens les plus dynamiques du pays malgré les persécutions de l'ère soviétique. Kakapo vous propose ici le regard de Serguei Antsiferov, de l'Eglise baptiste de Novossibirsk

"Le Seigneur prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder...Avec de la Terre le Seigneur façonna toutes sortes d'animaux sauvages et d'oiseaux, et les conduisit à l'homme pour voir comment celui-ci les nommerait." Genèse 2, 15; 19.

Une matinée de travail perdue : depuis déjà 50 minutes un Homme aux moustaches fournies, en uniforme militaire se tient dans mon cabinet. C'est l'ataman des toutes nouvelles forces cosaques. Il est venu s'entretenir avec moi des navires abandonnés dans les zones aquatiques protégées de la zone Ob1.

A son avis, les cosaques pourraient exploiter le métal de ces bateaux et cette condition satisfaite, il est près à commencer le travail sur le champ. Seulement le lendemain, l'ataman ne se souvient déjà plus de ses propres propositions.

Il est baptisé mais pratique le bouddhisme zen à un stade avancé tout en participant aux processions populaires orthodoxes.

Dommage que ce bouddhiste zen soit le seul représentant de la chrétienté essayant de faire quelque-chose pour l'environnement. Je n'en connais pas d'autre après enquête.

Pendant ce temps, toutes sortes d'initiatives scientifiques et écologiques sont organisées tour à tour par " éthique vivante " (version russe du " New Age ", les disciples du mystique naturaliste Porphyre Ivanov, d'autres mystiques "indépendants", des prêtres de rites païens.

Quant aux personnes que les questions écologiques ne laissent pas indifférentes, ce sont pour l'essentiel les étudiants et les retraités. Mais les retraités meurent et les étudiants grandissent, s'occupent de leur famille... ne restent que les professionnels du secteur et les adeptes de sciences occultes. Et parmi une demi-douzaine de collègues avec lesquels il m'arrive de m'entretenir plus profondément : deux " yogistes de l'esprit ", un guérisseur , un sorcier adepte de la magie noire et enfin, mon chef qui affirme " croire en tout " .

Le seul journal d'écologie qui paraissait régulièrement à Novossibirsk ne consacrait réellement que deux colonnes à ce thème. Dans les dix colonnes restantes : des articles consacrés aux corps célestes, et autres rapports sympathiques entre le cosmos et les études astrologiques.

Pourquoi ceux qui ont été appelés " le sel de la Terre " laissent-ils l'étude et la protection de cette dernière aux marginaux et adeptes des sciences occultes ?

Analyse statistique

Définissons l'écologie comme la protection du milieu naturel bien que n'importe quel écologiste répugnera à une telle réduction. Alors 400 associations écologiques sont enregistrées dans la province de Novossibirsk. Plus de 300 d'entre elles ont soit disparu soit ont été oubliées par leurs propres membres.

Répertoriées défenseur des écosystèmes, elles ont été créées dans l'espoir de récolter des subventions destinées à résoudre les problèmes financiers de leurs fondateurs.

Leur traditionnelle obéissance n'exigeant rien d'eux en la matière, les orthodoxes sont absents des mouvements écologistes, quant aux protestants, l'écologie ne relève pas de leur sphère d'intérêts .

Les pouvoirs publics eux, sont directement intéressés par la collaboration avec les associations religieuses. Cela est en effet clairement recommandé par le gouvernement . Cependant aucune initiative gouvernementale visant à attirer l'attention sur les questions écologiques n'est possible car depuis l'an 2000, les structures gouvernementales liées à l'environnement subissent une restructuration ininterrompue dont on ne perçoit pas le terme.

Mais est-il seulement possible d'impliquer un peu plus les Eglises chrétiennes dans la protection du milieu naturel ? C'est douteux. Mes entretiens avec les Eglises de Novossibirsk ont en effet donné un tableaux prévisible : les problèmes environnementaux inquiètent tout le monde et représentent de l'avis de tous un thème d'actualité ; ils n'engagent cependant la responsabilité personnelle (réelle) de personne.

Une discussion avec le pasteur ménonite fut significative à ce sujet : après avoir brillamment démontré qu'une attitude négligente envers la nature constitue un péché pour les chrétiens - les écritures en parlent directement -"Le Seigneur prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder" , " Et Dieu plaça l'Homme dans le jardin d'Eden pour qu'il en prenne soin ", ce pasteur démontra de la peine à expliquer comment il s'engage lui même pour la protection de la nature.

Si les auteurs et penseurs orthodoxes accordent de l'importance à la question écologique, les protestants gardent le silence. La majorité d'entre-eux se range à l'avis que " la Terre et tout ce qui l'habite disparaîtra " et que par conséquent la nécessité de s'engager pour l'écologie ne s'adresse pas aux chrétiens mais au monde profane.

Un quelconque intérêt pour la nature n'apparaît qu'à l'occasion de l'acquisition d'un terrain pour se construire une maison.

Analyse sur la prière

L'Homme et l'Eden constituaient un seul écosystème. Le pêché originel a conduit à la rupture de l'équilibre écologique. L'Homme a été chassé. L'Homme a changé. L'Eden s'est vidé.

Il est devenu lieu commun de considérer que le problème de la civilisation chrétienne par rapport aux questions environnementales prend racines dans la conviction des croyants que l'Homme est une exception dans la nature. Rien ne serait plus anti-écologique que l'affirmation " l'Homme est le sommet de la Création et Roi dans la nature ". A mon avis, la phrase " l'Homme est le sommet de la Création " n'est pas de la vanité. En effet, l'Homme ne peut s'enorgueillir que devant lui même par de tels propos. Il n'est pas coutume de se vanter de sa supériorité devant les chats ou les séquoias. Il est important que l'Homme soit le sommet de la Création non pas pour le monde mais pour Dieu.

L'affirmation concernant la Royauté de l'Homme mérite plus d'attention. Les compréhensions chrétienne comme profane de " régner " signifient : utiliser les avantages et droits du pouvoir selon sa volonté. Mais pas uniquement. "Régner" c'est aussi diriger intelligemment, assurer la vie à ses sujets, améliorer la situations de leurs descendants et autres devoirs semblables. Les rois qui ont oublié les devoirs de la royauté ont en règle générale connu une fin de vie inattendue pour eux.

Le règne de l'Homme sur la nature est du même ordre. Oui, Dieu donne à l'Homme pouvoir sur les richesses naturelles. Entre autre sur la vie des animaux et sur l'apparence des paysages. Mais naturellement, les droits régaliens supposent aussi des devoirs.

Pourquoi-donc les chrétiens sont-ils si absents des mouvements écologiques ? Dans la chrétienté subsiste un étrange paradoxe. Personne ne s'émerveille de façon si claire et affirmée de la beauté de la Création et de l'intelligence avec laquelle elle a été conçue que le chrétien , alors même que personne n'est aussi indifférent que ce même chrétien à la conservation de cette beauté et de cette organisation.

Les protestants ont composé des centaines d'hymnes sur les merveilles de la nature et ils les chantent sincèrement chaque jour dans les assemblées ecclésiales mais regardent froidement la beauté de la nature mourir, comment disparaissent de la surface de la Terre les animaux créés par Dieu, comment est détruit l'habitat naturel du monde vivant dans sa totalité.

Il me semble que l'explication réside dans la pondération des priorités de la vie chrétienne. Les gens qui ont cru à la prédication, la mort et la résurrection du Christ, sans s'enflammer, peuvent-ils encore s'indigner de la disparition des populations de daims ? On ne rencontre pas de tels individus parmi les acteurs de l'écologie.

Les personnes qui ont cru avec passion à la vérité, sont préoccupé par l'accomplissement beaucoup plus important de " allez et enseignez... pour que tous aient la vie éternelle ". Ces chrétiens ne nous comprennent pas lorsque nous essayons de sauver ce monde condamné au feu divin, dans le prolongement de notre préoccupation (cela forme un tout) pour le Salut des Hommes.

Pour cette raison, les défenseurs convaincus de la nature resteront une minorité parmi les chrétiens et en particulier dans les Eglises protestantes. Ce sont des chrétiens pour lesquels l'écologie ne sera pas une prise de position citoyenne mais une profession de foi amoureuse.

On a l'impression que les chrétiens se sentent déjà exclus de la Terre -recoin inhospitalier- sans regret. Ils ne ressemblent pas à la femme de Lot, admirant ce monde obligé. Non, non, nous ne quittons pas encore la Terre. Mais nous lui avons déjà fait nos adieu.

Andreï Antsiferov,

Novossibirsk